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Guinée : Les droits humains en péril alors que la transition promise se fait attendre

L’opposition, la dissidence et les médias sont réprimés ; le retour à l’ordre constitutionnel est reporté

Une affiche montrant le général Mamadi Doumbouya, dans une rue de Conakry, en Guinée, en septembre 2024 © 2024 Human Rights Watch
  •  Les autorités militaires en Guinée ont réprimé l’opposition, les médias et la dissidence pacifique et n’ont pas tenu leur promesse de rétablir un régime civil d’ici décembre 2024.
  • Lorsque le général Mamadi Doumbouya a renversé son prédécesseur autocratique, l’ex-président Alpha Condé, il s’est engagé à reconstruire l’État, à respecter les droits humains et à rendre justice. Pourtant, son gouvernement a largement continué à tuer, à intimider et à museler les détracteurs.
  • Les autorités guinéennes devraient respecter le droit des personnes à manifester pacifiquement et à s’exprimer librement, strictement contrôler les forces de sécurité et les obliger à rendre des comptes en cas d’abus.

(Nairobi) – Les autorités militaires en Guinée ont réprimé l’opposition, les médias et la dissidence pacifique depuis qu’elles ont pris le pouvoir lors d’un coup d’État en septembre 2021, et n’ont pas tenu leur promesse de rétablir un régime civil d’ici décembre 2024, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.

Les forces de sécurité ont fait un usage excessif de la force, notamment de gaz lacrymogènes et d’armes à feu, pour disperser ceux qui ont défié l’interdiction de manifester imposée depuis mai 2022 par le Comité national du rassemblement et du développement (CNRD), la junte dirigée par le général Mamadi Doumbouya. La répression a entraîné la mort de dizaines de manifestants et d’autres habitants de Conakry, la capitale de la Guinée, depuis janvier 2024. Durant cette même période, la junte a suspendu au moins six médias indépendants, a arrêté arbitrairement au moins dix journalistes et a fait disparaître et aurait torturé deux éminents militants politiques.

« Lorsque le général Mamadi Doumbouya a renversé son prédécesseur autocratique, Alpha Condé, il s’est engagé à reconstruire l’État, à respecter les droits humains et à rendre justice », a déclaré Ilaria Allegrozzi, chercheuse senior sur le Sahel à Human Rights Watch. « Pourtant, au cours des deux dernières années, son gouvernement a largement continué dans le sillage d’Alpha Condé en tuant, intimidant et muselant des détracteurs, mais également en torturant et en faisant disparaître des personnes soupçonnées de travailler avec l’opposition politique. »

Human Rights Watch a mené des entretiens avec 30 individus en personne à Conakry, entre le 22 et le 28 septembre, dont des représentants d’organismes des Nations Unies et de la communauté internationale, des membres d’organisations nationales et internationales de défense des droits humains, des journalistes, des membres de l’opposition politique et des victimes de violations des droits humains, et a rencontré le ministre guinéen de la Justice et des Droits de l’Homme. Du 10 au 31 octobre, Human Rights Watch a également mené des entretiens par téléphone avec 27 témoins de violations des droits humains. Human Rights Watch a aussi examiné des déclarations de membres du gouvernement et analysé des dossiers médicaux et médico-légaux, des documents juridiques, des photographies et des enregistrements vidéo partagés directement avec ses équipes de recherche pour corroborer les récits des victimes et des témoins.

Human Rights Watch a écrit au ministre de la Justice le 5 novembre, pour lui faire part des conclusions de ses recherches et pour demander des réponses à des questions spécifiques. Le ministre de la Justice n’a pas répondu à Human Rights Watch.

Le Front national pour la défense de la Constitution (FNDC), une coalition de premier plan de groupes de la société civile et de partis d’opposition guinéens, a appelé à un retour rapide à l’ordre constitutionnel après le coup d’État militaire. La coalition et les organisations guinéennes de défense des droits humains consultées par Human Rights Watch ont indiqué que jusqu’à 59 personnes, y compris au moins 5 enfants, sont mortes lors de manifestations depuis juin 2022, principalement à Conakry. Certaines étaient des manifestants, tandis que d’autres étaient des citoyens ordinaires qui se trouvaient au mauvais endroit au mauvais moment.

Les recherches de Human Rights Watch révèlent que les forces de sécurité ont fait un usage de la force létale, entraînant la mort d’au moins neuf personnes, dont une femme et quatre enfants âgés de 9 à 17 ans, lors de manifestations qui se sont déroulées à Conakry entre janvier et septembre 2024. Une seule de ces personnes seulement participait aux manifestations. Les manifestants s’en sont également pris à la police et aux gendarmes, en leur jetant des pierres ainsi que d’autres objets, et ont bloqué des routes.

Human Rights Watch a documenté de manière détaillée comment des membres des forces de sécurité auraient tiré sur des manifestants et tué des dizaines d’entre eux depuis 2019.Pourtant, les autorités n’ont toujours pas enquêté sur les décès et autres abus commis lors des manifestations politiques ni poursuivi les responsables présumés. Le procès des crimes commis dans le cadre du massacre du 28 septembre 2009 qui s’est achevé récemment est un pas important vers la justice en Guinée. Toutefois, des défenseurs guinéens des droits humains ont expliqué à Human Rights Watch qu’il était capital de veiller à ce que le procès ne soit pas un effort judiciaire isolé, mais qu’il marque plutôt le début de nouvelles enquêtes et poursuites concernant les violations des droits humains dans le pays.

Human Rights Watch a aussi documenté des disparitions forcées perpétrées par la junte pour faire taire la dissidence et l’opposition politique. Le 9 juillet, les forces de sécurité guinéennes auraient torturé et fait disparaître de force Oumar Sylla, connu sous le nom de Foniké Menguè, et Mamadou Billo Bah, deux figures importantes de l’opposition. Les autorités n’ont pas reconnu leur détention ni répondu aux demandes de leur avocat à propos du lieu où ils se trouvent.

Les autorités militaires ont bloqué et suspendu des médias, et ont menacé et arrêté arbitrairement des journalistes.

Le 18 septembre, le ministre des Affaires étrangères, Morissanda Kouyaté, a annoncé que, contrairement au calendrier de transition de 24 mois convenu entre la junte et la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) en décembre 2022, l’élection présidentielle n’aurait pas lieu à la fin de l’année 2024, mais en 2025. Morissanda Kouyaté a confirmé qu’un référendum portant sur l’adoption d’une nouvelle constitution, visant à remplacer la charte de la transition et potentiellement à ouvrir la voie à la participation de Mamadi Doumbouya à l’élection présidentielle, aurait bien lieu à la fin de l’année 2024. Cependant, au moment de la publication de ce rapport, aucune date n’avait encore été fixée pour le référendum. Plusieurs membres du CNRD et du gouvernement, dont son porte-parole, Ousmane Gaoual Diallo, ont publiquement exprimé leur soutien à la candidature de Mamadi Doumbouya lors de la prochaine élection présidentielle.

Des membres de l’opposition et de la société civile ont fait part de leurs préoccupations quant à l’absence de calendrier électoral clair et aux violations de la charte de la transition. Le 12 novembre, une coalition guinéenne de groupes d’opposition et d’organisations de la société civile, connue sous le nom de Forces Vives de Guinée (FVG), a appelé au retrait de la junte du pouvoir d’ici le 1er janvier 2025 et au rétablissement de l’ordre constitutionnel. 

Un activiste de la société civile a déclaré à Human Rights Watch en septembre que « l’intolérance croissante de la junte envers l’opposition et ses promesses non tenues d’organiser des élections libres et équitables avant la fin de l’année peuvent mener tout droit au désastre » et que « le gouvernement devrait mettre fin à la répression pour ne pas aggraver une situation politique déjà tendue qui pourrait mener à des violences ».

Le 29 octobre, le ministre de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation a dissous 53 partis politiques, en a suspendu 54 autres pendant trois mois et placé 67 autres en observation, leur donnant trois mois pour fournir au ministère des informations requises. La décision est intervenue après la publication d’un rapport d’« évaluation des partis politiques » par le ministre, invoquant un non-respect de la loi par certains partis, notamment l’absence de licences valides et de comptes financiers transparents.

Parmi les partis en observation figurent trois partis d’opposition de premier plan, à savoir le Rassemblement du peuple de Guinée (RPG) dirigé par l’ancien président Alpha Condé, l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) dirigée par Cellou Dalein Diallo et l’Union des forces républicaines (UFR) dirigée par l’ancien Premier ministre Sidya Touré. L’opposition soutient que cette décision vise à empêcher des personnalités politiques clés de se présenter aux élections.

La Guinée étant un État partie à la Charte de l’Union africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, les autorités devraient cesser de cibler les opposants politiques et les activistes de la société civile, et garantir un retour rapide à un régime démocratique, a déclaré Human Rights Watch.

Les Lignes directrices pour le maintien de l’ordre par les agents chargés de l’application des lois lors des réunions en Afrique de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples et les Principes de base des Nations Unies sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois prévoient que ces derniers ne peuvent utiliser la force que lorsque cela est strictement nécessaire et dans la mesure requise pour atteindre un objectif légitime de maintien de l’ordre.

« Alors que la période de transition touche à sa fin et que le risque de troubles est en hausse, les autorités guinéennes devraient respecter le droit des personnes à manifester pacifiquement et à s’exprimer librement », a conclu Ilaria Allegrozzi. « Elles devraient également mieux contrôler les forces de sécurité, enquêter sur les personnes impliquées dans des abus présents ou passés et leur faire rendre des comptes, tandis que les leaders politiques devraient demander à leurs partisans de s’abstenir de recourir à la violence. » 

Pour avoir plus de détails et pour lire les récits des témoins, veuillez vous reporter à la suite.
 
Usage excessif de la force en 2024

Janvier

Le 8 janvier, vers midi, les forces de sécurité ont lancé des gaz lacrymogènes et tiré des coups de feu pour disperser les personnes qui s’étaient rassemblées dans le quartier d’Hamdallaye à Conakry pour protester contre les coupures de courant, blessant Amadou Oury Diallo, un étudiant de 17 ans, qui est décédé des suites de ses blessures le 11 janvier. Des proches et des témoins ont indiqué qu’il ne faisait pas partie des manifestants.

« Il y avait des dizaines de jeunes, certains étaient violents et ont jeté des pierres sur les gendarmes », a décrit un témoin. « Ensuite, j’ai entendu des coups de feu et j’ai vu la foule se disperser. »

« Il était inconscient », a expliqué un proche de la victime, âgé de 31 ans, qui s’est rendu au plus vite à l’hôpital de l’amitié sino-guinéenne où Amadou Oury Diallo avait été conduit pour une intervention chirurgicale le même jour. « Le médecin m’a dit qu’il avait reçu une balle dans la tête. »

Human Rights Watch a examiné le dossier médical d’Amadou Oury Diallo, un courrier du 12 janvier d’un membre de la famille demandant la restitution du corps du jeune homme, ainsi que son certificat de décès délivré par l'hôpital.

Le 9 janvier, vers 17 heures, des gendarmes ont également tué par balle Amadou Korka Diallo, âgé de 18 ans, et ont blessé un autre jeune homme, avec lequel Human Rights Watch a mené un entretien, lors d’une manifestation organisée par l’opposition contre les pénuries de carburant dans le quartier d’Hamdallaye à Conakry.

Le jeune homme blessé a raconté :

La manifestation était presque terminée, mais il y avait encore 30 à 50 jeunes qui faisaient face aux forces de sécurité. Un fourgon de la gendarmerie s’est arrêté sur le bord de la route, un gendarme en est sorti et a tiré sur Amadou. Les gendarmes ont également lancé des gaz lacrymogènes pour nous empêcher de le secourir. Puis, le gendarme a tiré deux fois de plus, l’une des balles m’a touché au bras droit.

Human Rights Watch a analysé et géolocalisé une vidéo de 13 secondes envoyée directement aux équipes de recherche. La vidéo montre une camionnette de la gendarmerie s'arrêtant au bout de la rue. Amadou Korka Diallo est allongé sur le sol, s'appuyant sur un bras, à environ 40 mètres de la camionnette. Quelques instants plus tard, on peut voir une grenade lacrymogène voler dans les airs en arc de cercle depuis la direction de la camionnette, au-dessus de la tête de Amadou Korka Diallo. Elle atterrit sur le sol entre Amadou Korka Diallo et la personne qui filme et libère une fumée correspondant à du gaz lacrymogène. Alors que la camionnette démarre, on entend un coup de feu et Korka tombe immédiatement au sol. Human Rights Watch a également analysé une autre vidéo de 9 secondes montrant des personnes portant Korka, qui saigne.

Des captures d'écran tirées d'une vidéo de 13 secondes montrent un fourgon de la gendarmerie à proximité d'Amadou Korka Diallo. Quelques secondes plus tard, une grenade est lancée depuis la direction du fourgon, atterrit près d'Amadou Korka Diallo et dégage une fumée semblable à celle d'un gaz lacrymogène. À la fin de la vidéo, on entend un coup de feu et Amadou Korka Diallo tombe au sol. Captures d'écran : Source : © Privé (2024)

Un des proches d’Amadou Korka Diallo a raconté :

Il a reçu deux balles, dans l’abdomen et dans la poitrine. Il a d’abord été conduit dans un petit centre de santé, mais le médecin a recommandé de l’emmener à l’hôpital Jean-Paul II. De là, il a été conduit à l’hôpital Donka, où il est décédé.

Human Rights Watch a examiné deux photographies montrant la blessure par balle d’Amadou Korka Diallo à l’abdomen, qui corroborent les récits des témoins, une photographie du corps du jeune homme à la morgue, ses dossiers médicaux, ainsi que son certificat de décès, indiquant qu’il est décédé de « mort violente par arme à feu » à 19h55 le 9 janvier 2024.

Février

Le 19 février, vers 13 heures, les forces de sécurité ont fait usage de la force, notamment des gaz lacrymogènes et d’armes à feu, pour disperser des personnes qui s’étaient rassemblées dans le quartier de Nassouroulaye à Conakry pour protester contre les coupures de courant, tuant Mamadou Alhadji Diallo, âgé de 30 ans. « Des hommes en uniforme bleu, très probablement des gendarmes, affrontaient des jeunes qui leur jetaient des pierres », a décrit un témoin. « Mamadou était là pour calmer les jeunes lorsque les forces de sécurité ont tiré. J’ai entendu deux coups de feu, le second a touché Mamadou à la tête. » Les médias nationaux ont également signalé la mort de Mamadou Alhadji Diallo.

Le même jour, entre 15 et 16 heures, des gendarmes ont ouvert le feu sur des manifestants qui leur lançaient des pierres et sur d’autres personnes dans le quartier d’Hamdallaye à Conakry, tuant Abdoulaye Djibril Diallo, 16 ans, et blessant un autre garçon, également âgé de 16 ans et avec qui Human Rights Watch a mené un entretien.

Ce dernier a expliqué :

Nous étions là pour voir ce qu’il se passait, quand des gendarmes à l’intérieur d’un fourgon se sont mis à tirer. J’ai été touché au pied droit... et Djibril [a été touché] à la poitrine.

Human Rights Watch a mené des entretiens avec un autre témoin, un membre de la famille de la victime, et a examiné une photographie montrant le corps d’Abdoulaye Djibril Diallo et la blessure par balle, autant d’éléments qui corroborent le récit du témoin. Le 24 février, le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) a publié un communiqué déplorant la mort d’Abdoulaye Djibril Diallo, exhortant « toutes les parties prenantes à protéger les enfants » lors des manifestations et appelant les autorités à identifier et à punir les responsables de sa mort.

Le 26 février, alors que plusieurs syndicats en Guinée avaient appelé à une grève générale débutant ce même jour pour protester contre la détention arbitraire de Sékou Jamal Pendessa, activiste bien connu de la liberté des médias et secrétaire général du Syndicat des professionnels de la presse de Guinée (SPPG), des personnes sont descendues dans les rues de plusieurs quartiers de Conakry, jetant des pierres sur les forces de sécurité et bloquant les routes. Les médias nationaux et internationaux ont fait état de deux personnes tuées et de plus d’une dizaine de blessés. Human Rights Watch a documenté la mort d’Ibrahima Touré, 19 ans, et de Mamady Keïta, 17 ans, qui ne manifestaient pas, respectivement dans les quartiers d’Hamdallaye et de Sonfonia à Conakry.

Un homme de 18 ans qui a été témoin de l’incident impliquant Ibrahima Touré a expliqué :

Il était entre 10 et 11 heures du matin quand Ibrahima Touré et moi sommes arrivés ensemble à Hamdallaye… Ibrahima a dit qu’il avait besoin d’acheter du savon et qu’il reviendrait bientôt. Je me suis arrêté près de la pharmacie d’Hamdallaye où un fourgon de la gendarmerie était stationné, et une vingtaine de jeunes en colère jetaient des pierres sur les gendarmes. Je connaissais certains de ces jeunes et je suis intervenu, je leur ai dit d’arrêter parce que ça pouvait mal tourner, mais ils ont continué. Un peu plus tard, un fourgon avec des gendarmes en provenance du quartier de Bambeto s’est dirigé vers nous et les gendarmes ont commencé à tirer. C’est à ce moment-là qu’Ibrahima Touré est revenu et qu’on lui a tiré dessus. […] J’ai tenté de le sauver, mais un gendarme qui était près de moi m’a dit : « Si tu bouges, je tire. »

Human Rights Watch a examiné un rapport d’autopsie du 29 février qui indiquait qu’Ibrahima Touré était décédé à la suite d’un « choc hémorragique » causé par une blessure par balle. Des médias nationaux ont également rapporté la mort d’Ibrahima Touré.

Un homme de 25 ans qui a été témoin de la mort de Mamady Keïta, le même jour, a raconté :

La police et les gendarmes étaient déployés sur la route principale, où les jeunes manifestaient […], mais un fourgon de la gendarmerie est entré dans le quartier et ils ont commencé à tirer. Il y a eu quatre à cinq coups de feu. Mamady a été touché. Je me suis précipité pour l’aider, et avec d’autres personnes, nous l’avons emmené dans un centre de santé local. Mais son cas était trop grave, alors nous avons essayé de le transférer à l’hôpital Donka, mais il est mort en chemin.

Certificat de décès de Mamady Keïta indiquant qu'il est décédé de « mort violente ». Mamady Keïta est décédé à la suite d'une manifestation organisée par les syndicats le 26 septembre 2024 dans le quartier Sonfonia de Conakry, au cours de laquelle les forces de sécurité ont fait un usage excessif de la force.  © 2024 Privé

« J’ai vu le corps à l’hôpital », a indiqué un proche de Mamady Keïta. « La balle l’a atteint dans le dos et a traversé le thorax. »

Human Rights Watch a examiné un document judiciaire du 1er mars demandant au personnel de l’hôpital de restituer le corps de Mamady Keïta à sa famille, ainsi que le certificat de décès du jeune homme, délivré par l’hôpital, indiquant qu’il est décédé de « mort violente ». Des médias internationaux ont également couvert la mort de Mamady Keïta.

Juillet

Le 30 juillet, vers 16 heures, un policier a tiré sur Mamadou Baïlo Diallo, âgé de 27 ans, le touchant à la tête, dans le quartier de Koloma à Conakry. Deux témoins et un proche de la victime ont indiqué que les forces de sécurité s’étaient déployées en nombre dans la capitale ce jour-là en raison de manifestations organisées par la société civile pour protester contre les disparitions des activistes du FNDC, Foniké Menguè et Mamadou Billo Bah, mais que Mamadou Baïlo Diallo ne faisait pas partie des manifestants.

Un témoin âgé de 25 ans a raconté :

Nous ne participions pas aux manifestations. […] Un policier est sorti de nulle part et quand nous l’avons vu, nous avons fui de manière instinctive, alors il nous a tiré dessus, à moins de 20 mètres, et a touché Mamadou, qui est tombé. J’ai continué à courir. Quand le policier est parti, j’ai fait demi-tour, j’ai cherché un motard pour sauver Mamadou, et nous l’avons conduit à l’hôpital de l’amitié sino-guinéenne vers 16 heures. […] Il était déjà mort. La balle l’avait touché à la nuque. […] Le corps a ensuite été emmené à la morgue de l’hôpital Ignace Deen. 

Human Rights Watch a examiné une photographie de la blessure par balle de Mamadou Baïlo Diallo, qui corrobore les récits des témoins. Le 31 juillet, Cécé Roger Kolié, procureur adjoint du tribunal de première instance de Dixinn à Conakry, a demandé une autopsie pour déterminer les causes de son décès décrit comme une « mort suspecte par arme à feu ». Des médias nationaux ont également couvert la mort de Mamadou Baïlo Diallo.

Août

Le 15 août, les forces de sécurité ont utilisé la force létale pour disperser des personnes qui s’étaient rassemblées dans le quartier de Sonfonia à Conakry pour protester contre les coupures de courant. Ibrahima Sadio Diallo, un enfant de 9 ans, a été touché par une balle et est mort sur-le-champ. Human Rights Watch n’a pas pu s’entretenir avec des témoins de sa mort, mais a examiné des articles dans les médias portant sur l’incident et a parlé avec des proches de la victime, qui ont vu le corps.

Un membre de la famille de la victime a raconté :

Il revenait de l’école coranique vers 17 heures, lorsque les forces de sécurité ont ouvert le feu, selon ceux qui ont vu ce qui s’est passé. Il a été emmené dans un centre de santé local, mais il était déjà mort. Je suis allé au centre de santé, j’ai vu le corps et la blessure par balle à la tête. […] Nous l’avons enterré le lendemain.

Septembre

Le 4 septembre, vers midi, Aissatou Traoré, âgée de 35 ans et mère de quatre enfants, se trouvait sur le siège arrière d’un taxi quand elle a été touchée mortellement par une balle qui aurait été tirée par les forces de sécurité guinéennes au rond-point T8 dans le quartier de Sonfonia à Conakry. Des médias nationaux et des proches de la victime ont rapporté que les forces de sécurité avaient été déployées à Sonfonia pour disperser les manifestants qui avaient répondu à un appel des Forces Vives de Guinée, une coalition d’acteurs de la société civile et de partis politiques, à descendre dans les rues pour mettre fin à la transition politique.

Un ami de la victime a expliqué :

Je me suis précipité sur les lieux, peu de temps après qu’on ait tiré sur Aissatou. Quand je suis arrivé à la T8, j’ai remarqué un déploiement important de forces de sécurité, il y avait des gendarmes, des policiers et des soldats. Mais… elle avait déjà été emmenée dans un centre de santé local. […] Je suis allé là-bas, et elle était morte. J’ai identifié le corps.

Photographie de la vitre brisée du taxi où Aissatou Traoré a été touchée par balle, dans le quartier de Sonfonia à Conakry, le 4 septembre 2024. © 2024 Privé

Human Rights Watch a examiné deux photographies montrant la fenêtre du taxi brisée par la balle, cinq photographies de la blessure d’Aissatou Traoré, qui corroborent les récits des témoins et les éléments des dossiers médicaux, et une vidéo de 1 minute et 16 secondes qui montre le personnel médical expliquant que la balle a touché l’omoplate droite d’Aissatou Traore, a traversé sa cage thoracique puis est sortie avant de se loger dans son bras gauche.

Human Rights Watch a également étudié un document du 13 septembre signé par le procureur adjoint Kadiatou Rolou Guilao demandant à la famille d’Aissatou Traoré d’enterrer le corps. Le document cite un rapport du médecin légiste Hassane Bah, qui a pratiqué une autopsie du corps d’Aissatou Traoré, décrivant ses blessures.

Absence de reddition des comptes pour les violences commises par les forces de sécurité pendant les manifestations

Parmi les familles des neuf victimes dont Human Rights Watch a documenté les cas, seule la famille d’Aissatou Traoré a porté plainte. Certains ont dit qu’ils ne faisaient pas confiance au système judiciaire guinéen, d’autres qu’ils craignaient des représailles.

« Lorsque nous sommes allés au tribunal pour demander l’autorisation d’enterrer le corps, ils nous ont dit de ne jamais porter plainte », a déclaré un ami proche de l’une des victimes. « Ils ont indiqué que [les familles de] toutes les personnes tuées sur la route d’Hamdallaye ne devraient jamais porter plainte. »

« Une plainte ? Eh bien, la famille ne voulait pas en déposer », a expliqué un ami de l’une des victimes. « Ce n’est pas que nous ne voulions pas le faire, mais devant quelle autorité ? » a demandé la famille. « Nous ne faisons pas confiance au [système] judiciaire. Dès que vous portez plainte, vous subissez automatiquement des menaces… Dès que vous osez dénoncer, la junte vous efface. »

Dans sa lettre du 5 novembre, Human Rights Watch a demandé aux autorités si des enquêtes avaient été menées sur les membres des forces de sécurité impliqués dans des violations des droits humains depuis 2021, y compris celles documentées dans le présent rapport. Les autorités n'ont pas répondu à la lettre.

Le 5 septembre, la famille d’Aissatou Traoré a signalé le crime au procureur du tribunal de première instance de Dubreka à Conakry. Le même jour, s’adressant aux médias, le Premier ministre Bah Oury a condamné « le fait qu’hier une dame a été atteinte d’une balle à la T8 » et a noté qu’« il y a deux semaines de cela, un enfant dans les mêmes parages avait été atteint d’une balle ». Il a ajouté que l’« on ne peut pas tolérer [qu’]à chaque fois, dans le cadre du maintien d’ordre, on dénombre des morts. Les enquêtes doivent être poursuivies sans complaisance. La justice doit être menée jusqu’au bout. » Cependant, trois mois plus tard, il n’y a pas eu de progrès dans l’enquête sur le décès d’Aissatou Traoré, ont indiqué ses proches.

« Ici, il n’y a pas d’enquête », a expliqué un ami d’Aissatou Traoré. « Nos dirigeants glorifient les crimes ; ils ne veulent pas faire tomber de têtes, alors ils préfèrent se ranger du côté des auteurs de crimes plutôt que du côté des victimes. »

Des étapes positives vers la reddition des comptes

Human Rights Watch a couvert le procès récemment achevé à Conakry portant sur les crimes commis lors du massacre du 28 septembre 2009, au cours duquel les forces de sécurité ont tué plus de 150 manifestants pacifiques et violé des dizaines de femmes. Le tribunal guinéen a condamné huit personnes, dont l’ancien président autoproclamé, Moussa Dadis Camara, pour crimes contre l’humanité, en a acquitté quatre autres et a ordonné des réparations. La décision a fait l’objet d’un appel et des poursuites sont toujours en cours contre d’autres personnes accusées d’être impliquées.

Disparitions forcées

Lors d’une réunion avec Human Rights Watch à Conakry le 26 septembre, le ministre de la Justice a indiqué qu’« un vent nouveau souffle sur le pays » depuis que le CNRD a pris le pouvoir, que « les arrestations à caractère politique ont diminué de 60 pour cent par rapport à 2021 », que « les autorités sont attentives et vigilantes sur la question des droits humains dans le pays » et que les allégations de disparition des deux opposants politiques du FNDC « restent un mystère pour nous ».

Environ deux mois après la disparition des deux militants du FNDC, le 25 septembre, le corps du colonel Célestin Bilivogui, qui avait disparu en novembre 2023 après que les forces de sécurité l’ont arrêté à son bureau à Conakry, a été présenté à son épouse à la morgue de l’hôpital Ignace Deen à Conakry. Quelques jours après la disparition de Célestin Bilivogui, Mamadi Doumbouya avait émis un décret limogeant le colonel de l’armée pour « faute lourde ». Le décret ne précisait aucun autre motif pour la radiation, mais les médias ont rapporté qu’elle était liée à l’évasion le 4 novembre 2023 du colonel Claude Pivi qui avait été accusé de complicité de meurtre, de viol, de torture, entre autres, dans le cadre du procès sur le massacre du stade de 2009. Selon les avocats de Claude Pivi, les forces de sécurité guinéennes ont arrêté et détenu arbitrairement son épouse après son évasion. Celle-ci a été libérée environ dix mois plus tard, le 23 septembre, sans inculpation, lorsque Claude Pivi a été appréhendé et remis en détention.

Répression des médias et des journalistes

La junte a drastiquement restreint la liberté des médias. Les autorités militaires ont bloqué et suspendu des médias, menacé et arrêté arbitrairement des journalistes, dont beaucoup ont déclaré s’autocensurer par crainte de représailles. « Je ne peux plus dire ce que je pense. Je ne peux pas faire de reportage librement », a déploré un journaliste du site d’information Guinée Matin. « Les journalistes ont l’impression d’avoir une chape de plomb sur les épaules. C’est comme être en prison. »

Le 21 mai, les autorités ont retiré les agréments de quatre stations de radio privées et de deux chaînes de télévision privées, connues pour leurs reportages critiques, pour « non-respect du contenu des cahiers de[s] charges ».

« Ils veulent briser l’opposition », a expliqué à Human Rights Watch un membre d’une organisation internationale en Guinée. « En suspendant les activités de ces médias, la junte prive l’opposition de sa capacité à se mobiliser, à rallier ses partisans et à faire circuler ses messages. »

Le 18 janvier, avant une manifestation organisée par un syndicat de la presse contre le brouillage de plusieurs stations de radio en novembre 2023 et contre la suspension de trois chaînes de télévision en décembre 2023, les forces de sécurité ont assiégé la Maison de la presse, une organisation médiatique indépendante à Conakry, enfermant à l’intérieur au moins 30 journalistes pendant plusieurs heures, et ont arrêté au moins neuf autres journalistes. Ces derniers ont été libérés le soir même sans avoir été inculpés.

Le même jour, les forces de sécurité ont arrêté arbitrairement Sékou Jamal Pendessa. Après trois jours de détention dans un poste de gendarmerie, Sékou Jamal Pendessa a été présenté à un tribunal de Conakry et accusé de « participation à une manifestation non autorisée et trouble à l’ordre public ». Le 23 février, il a été condamné à six mois de prison, dont trois en liberté conditionnelle, et ses avocats ont interjeté appel, après quoi la peine a été réduite à un mois.

« Mon séjour en détention a été difficile », a raconté Sékou Jamal Pendessa, qui a été détenu à la prison centrale de Conakry, à Human Rights Watch. « J’étais dans une cellule avec jusqu’à 87 personnes, nous dormions sur le sol, un matelas pour deux personnes, tête-bêche, dans des conditions d’hygiène déplorables. »

Sékou Jamal Pendessa a été libéré le 28 février.

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