(New York, le 9 décembre 2024) – Le Conseil de sécurité des Nations Unies devrait autoriser d’urgence et déployer rapidement une véritable mission des Nations Unies en Haïti, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui en publiant une note d’information à ce sujet. Cette mission devrait garantir une réponse basée sur les droits humains afin de restaurer la sécurité, l’état de droit et la gouvernance démocratique dans ce pays.
La crise en Haïti a atteint des proportions catastrophiques en raison de l’intensification des attaques coordonnées à grande échelle menées par les groupes criminels contre la population et les infrastructures clés du pays, qui ont eu pour effet de submerger la police haïtienne et la Mission multinationale d’appui à la sécurité (MMAS) autorisée par les Nations Unies. La note d’information présente les éléments clés et les garanties en matière de droits humains qui sont nécessaires à la réussite de la nouvelle mission de l’ONU et à la prévention des échecs et des abus commis dans le cadre des précédentes interventions internationales en Haïti.
« Des Haïtiens affirment que la crainte des attaques des groupes criminels a pris le dessus sur leur vie quotidienne, et des millions d’entre eux luttent pour trouver de la nourriture, de l’eau et des soins de santé », a déclaré Ida Sawyer, directrice de la division Crises, conflits et armes à Human Rights Watch. « Une nouvelle mission de l’ONU en bonne et due forme, qui respecte les droits et s’appuie sur les efforts initiaux de l’ONU, pourrait offrir aux Haïtiens une réelle opportunité de reconstruire leur vie dans l’espoir et la dignité. »
Dans une lettre datée du 29 novembre, le Conseil de sécurité de l’ONU a demandé au Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, de présenter des « recommandations stratégiques » sur le rôle que l’ONU pourrait jouer pour aider à résoudre la crise sécuritaire, économique et humanitaire en Haïti. Antonio Guterres devrait proposer des recommandations claires et complètes pour la transformation rapide de la MMAS en une mission visant à faire progresser les droits humains et la mise en œuvre de l’obligation de rendre des comptes afin de promouvoir la sécurité et l’état de droit en Haïti, a déclaré Human Rights Watch.
La MMAS, autorisée en octobre 2023 et initialement déployée en juin 2024, a suscité l’espoir de voir la sécurité en Haïti se renforcer. Bien qu’elle soit financée en grande partie par les États-Unis et placée sous commandement kényan, la MMAS reste en phase de pré-déploiement en raison d’une pénurie de fonds et de personnel. Seuls 97,4 millions de dollars sur les 600 millions de dollars nécessaires au financement de la première année ont été alloués, et seuls 400 des 2 500 officiers attendus ont été déployés. Bien qu’elle ait soutenu les opérations de lutte contre la criminalité menées par la Police nationale d’Haïti (PNH) et mis en place des garanties en matière de droits humains, la MMAS n’a pas reçu les ressources nécessaires pour la rendre efficace ou pleinement opérationnelle.
En attendant, les Haïtiens se retrouvent à la merci de groupes criminels de plus en plus organisés et coordonnés, qui sont impliqués dans le trafic d’armes, de drogue et d’êtres humains, ce qui pourrait avoir des conséquences importantes pour la paix et la sécurité dans toute la région. Les groupes criminels contrôlent désormais environ 85 % de la capitale, Port-au-Prince, et de sa zone métropolitaine, et ont étendu leur contrôle aux départements de l’Ouest et de l’Artibonite. Entre janvier et mi-novembre, ces groupes criminels ont tué environ 4 544 personnes, tandis que 4 000 filles et femmes ont signalé des violences sexuelles, y compris des viols collectifs, selon les Nations Unies. Plus de 700 000 Haïtiens – dont 25 % d’enfants – sont déplacés à l’intérieur du pays, et la moitié de la population haïtienne a du mal à se procurer de la nourriture, ce qui en fait l’un des pays du monde où l’insécurité alimentaire est la plus grave.
Depuis la mi-novembre, Médecins Sans Frontières (MSF) – qui représente une bouée de sauvetage pour les survivant-e-s d’attaques et de violences sexuelles – ainsi que diverses organisations nationales et locales ont dû suspendre leurs activités en raison de l’insécurité causée par les groupes criminels et des menaces des forces de sécurité du gouvernement. Les agences des Nations Unies adaptent leurs opérations afin de poursuivre leur travail, tandis que de nombreux diplomates et membres du personnel d’organisations internationales ont été relocalisés dans des zones sûres ou évacués du pays, ce qui perturbe leurs activités.
La police est sous-équipée, en manque de personnel et fragilisée par la présence d’officiers impliqués dans de graves abus ou liés à des groupes criminels. Quant au gouvernement de transition, il n’est pas parvenu à rétablir l’état de droit, à éradiquer la corruption et à organiser des élections crédibles.
En septembre, le gouvernement haïtien a officiellement demandé la « transformation de la Mission multinationale d’appui à la sécurité en une mission de maintien de la paix de l’Organisation des Nations Unies ». Les États-Unis, le Kenya, les membres de l’Organisation des États américains (OEA), le Groupe des Sept (G7), d’autres membres du Conseil de sécurité, ainsi que l’expert indépendant des Nations Unies sur les droits de l’homme en Haïti ont soutenu cette demande.
Le Secrétaire général de l'ONU devrait agir rapidement pour répondre à la demande du Conseil de sécurité et, dans la lignée, l'ONU devrait prendre des mesures rapides et concrètes pour soutenir Haïti.
En Haïti en juillet, et à distance depuis cette date, Human Rights Watch a mené des entretiens avec de nombreux Haïtiens victimes d’abus, des activistes des droits humains, des travailleurs humanitaires et de la santé, des représentants du gouvernement et d’autres personnes. Tous ont invariablement appelé à une réponse internationale forte pour aider à rétablir la situation sécuritaire, tout en soulignant la nécessité d’éviter les échecs des interventions passées, et de s’assurer que la nouvelle action internationale soit intégrée dans le cadre d’une réponse globale qui traite également des causes profondes de l’instabilité d’Haïti.
« La violence criminelle est de plus en plus brutale », a déclaré à Human Rights Watch Pierre Espérance, le directeur du Réseau national de défense des droits humains (RNDDH) d’Haïti. « Si une action urgente n’est pas engagée, il sera trop tard pour les millions d’Haïtiens dont la vie est menacée. Une mission robuste de l’ONU, comprenant des garanties en matière de droits humains et de mise en œuvre de l’obligation de rendre des comptes pour les interventions passées, peut faire la différence et nous aider à aborder tous les aspects de la crise. »
Le pasteur Jean Enock Joseph, un éducateur et militant des droits humains du quartier de Cité Soleil à Port-au-Prince, a fait part de la nécessité d’une « mission de l’ONU avec un mandat de rétablissement de la paix » qui ait également « la capacité d’aborder les causes structurelles de la crise, tout en laissant aux Haïtiens le soin de choisir démocratiquement leurs dirigeants ».
Lionel Bourgoin, le Commissaire du gouvernement près le Tribunal de première instance de Port-au-Prince, a déclaré qu’« une mission de l’ONU pourrait offrir des ressources, une expertise et une coordination internationale accrues, nécessaires pour renforcer les institutions judiciaires et sécuritaires, tout en garantissant une approche respectueuse des droits humains ». Il a toutefois souligné que « la transparence et la concertation avec les acteurs de la société civile, les autorités judiciaires et les populations locales affectées doivent être au cœur du processus pour garantir son efficacité et sa légitimité ».
Fin novembre, une jeune fille âgée de 15 ans a déclaré à Human Rights Watch qu’elle vivait désormais dans la rue à Port-au-Prince avec ses sœurs âgées de 5 et 7 ans, après que des membres d’un groupe criminel ont abattu leurs parents lors d’une attaque dans leur quartier à la fin du mois d’octobre : « Je dormais quand mon père m’a réveillée. Il y avait des coups de feu partout. Il m’a dit : "Nous devons fuir.... Nous avons quitté notre maison, mais alors que nous courions, une balle a atteint mon père à la tête et une autre a touché ma mère à la poitrine. Ma mère saignait beaucoup, elle m’a dit : "Cours, cours". Je n’ai pas eu d’autre choix que de la laisser là.... Je n’ai plus de nouvelles d’elle depuis.... Je me suis enfuie avec mes petites sœurs, sans savoir quoi faire. J’ai peur, très peur qu’il nous arrive quelque chose, que nous soyons violées pendant la nuit. »
Comme d’autres personnes interrogées par Human Rights Watch, elle a ensuite décrit le besoin urgent d’une réponse internationale efficace : « La police seule ne peut rien faire ; nous avons besoin d’une aide urgente. Nous avons besoin que quelqu’un vienne nous sauver des bandits, nous apporter de la nourriture, de l’eau, des médicaments, des vêtements. Nous n’en pouvons plus. Quelqu’un doit les arrêter [les groupes criminels] ; quelqu’un doit leur dire qu’ils doivent cesser de nous tuer. »
« Le peuple haïtien a tant enduré et attendu depuis si longtemps une réponse internationale significative à la crise », a conclu Ida Sawyer. « L’ONU a maintenant l’occasion d’adopter une meilleure approche, en autorisant une nouvelle mission de l’ONU solide et conforme aux droits humains et en mobilisant les ressources nécessaires afin qu’elle puisse travailler efficacement avec le peuple haïtien pour rétablir la sécurité, assurer l’accès aux produits de première nécessité et s’attaquer aux causes profondes de l’instabilité. »